mercredi 6 juillet 2011

Réincarnation - Photographie couleur (2008) - Sculpture portée : Premier Testament - Le moine en moi (2007)

Elle faisait pousser l’herbe aux gueux, des clématis vitalba, tout autour des bâtiments, arrachait les fleurs, échevelées et argentées, pour préparer des potions qu’elle laissait macérer dans des bouteilles opaques ; elle récupérait le liquide à l’aide d’un vide-bouteille, l’offrait à ses invités une fois par an ; ivres, ils s’embarquaient dans sa danse ; pour le sabbat rassemblés, en douce, ils se laissaient séduire par le désordre de sa chevelure rousse, qui se mélangeait furtivement aux corps en sueur. Les poules étaient lâchées, ils venaient tous pour oublier, pour retrouver son parfum à la vigne blanche, se laisser transporter… Au petit matin elle partait, seule, les laissait tous rentrer ; personne n’a jamais vu son visage le jour. Les hommes, malades, venaient lui rendre visite quotidiennement, au coucher du soleil. Elle recouvrait leurs corps avec des bandelettes de papier interminables, sur lesquelles elle écrivait. Ils retrouvaient ainsi leur origine, le bonheur d’être emmailloté. Á chaque remède correspondait un texte particulier.
Elle plaçait parfois des œufs autour des corps, pour les protéger, les aider à retrouver leur énergie originelle, celle de ce premier cocon ; elle envoûtait les esprits avec ses mots. Tous reconnaissaient ses dons de guérisseuse.
La légende dit aussi qu’elle envoya jusqu’à sa mort des lettres sous forme de phylactères à l’homme qu’elle n’a jamais pu sauver, qu’elle avait aimé ; elle s’entêtait incessamment à le sauver par ce courrier. Elle disait que ces kilomètres de texte sans réponse étaient sa raison d’être.
J’ai passé mon enfance dans cette ferme, j’ai été imprégnée par cette légende.
Nos poules sont rousses, mes cheveux aussi. J’ai regardé les vaches offrir leur pitance quotidiennement dans ce lieu d’histoire, de mémoire, de travail, dans ce lieu étrange, de fabrique pour l’imaginaire.
Un jour, j’ai découvert des visages féminins qui apparaissaient au coin des ombres de mes photographies, j’ai été étonnée de ne pas me reconnaître lorsque je portais mes sculptures, dans ce lieu. Mon corps a pris peu à peu les allures de cette femme, sorcière bienfaitrice, elle revient en moi à travers ma création, revit-elle à travers le souffle haletant de ma respiration ? Je me suis identifiée à cette femme, j’ai trouvé des indices sur sa présence. Ma création fait revivre ses traces, son corps, je tente de trouver un remède au monde grâce à ses formules… Et si ces enveloppes corporelles faites de bandelettes, ces sculptures aériennes, ces sortes de pierres fragilisées, mais dressées quand même, ces formes monolithiques étaient comme des intermédiaires entre toi et notre monde, si c’était ta manière de revenir, ma manière de me trouver, de te retrouver ?